Une nouvelle ombre plane sur les enfants d’Ukraine
Le terrain de jeux vide et les bâtiments couverts de marques d’obus, voilà ce que Daryna voit lorsqu’elle va à l’école. Cela lui rappelle jour après jour les ravages causés par six années de conflit dans l’est de l’Ukraine et les effets dévastateurs sur la vie des enfants de la région. Une génération toute entière grandit au son des bombardements et des coups de feu, une bande sonore cauchemardesque pour des enfants, victimes de l’omniprésence des dangers et de l’insécurité.
« Nous ne sommes pas du tout en sécurité ici », affirme Daryna, 13 ans. « Parfois, on entend les bombardements. On devient anxieux quand on entend ce bruit. »
D’ailleurs la propagation planétaire d’une autre menace bouleverse la vie des enfants d’une façon nouvelle et incertaine. Désormais, alors que toutes les écoles en Ukraine ont fermé leurs portes pour empêcher la propagation de la COVID-19, les enfants qui vivent dans l’est du pays ont perdu un lien de plus qui les raccrochait à un certain sentiment de stabilité.
LA VIE DANS UNE VILLE FANTÔME
Daryna vit dans la ville minière de Zolote, près de la ligne dite de contact, qui divise les zones gouvernementales et non gouvernementales, là où les combats sont les plus violents. Zolote comptait autrefois près de 5 000 habitants, mais les six années de combats ont forcé un grand nombre d’entre eux à chercher du travail et la sécurité ailleurs. Aujourd’hui, la ville compte moins de 300 habitants. Pour les familles qui y sont restées, marcher dans les rues, les champs ou même les jardins situés à l’arrière des bâtiments exige une extrême vigilance pour éviter les mines et autres engins non explosés.
Les murs de l’école de Daryna sont décorés à l’aide de peintures, mais ces images colorées rappellent de manière troublante la menace qui pèse sur la ville. Un numéro est indiqué sur l'une des images; les enfants peuvent appeler ce numéro s’ils trouvent une mine ou un autre engin explosif à l’extérieur, incident beaucoup trop fréquent puisqu'il s’agit de l’un des endroits les plus contaminés par les mines au monde.
Il y a aussi les bombardements. Plus de 750 établissements scolaires ont été endommagés ou détruits depuis le début du conflit en 2014, dont l’école de Daryna; le plafond d’un étage s’est effondré après une série de bombardements.
Mais malgré les dangers, Daryna trouvait cela réconfortant d’aller à l’école. Elle aimait pouvoir voir ses amis et suivre des cours d’art, dans lesquels elle fabriquait des statuettes en argile.
« Je vis mes rêves à travers l’argile », explique Daryna, en montrant certains des animaux qu’elle a fabriqués. « Il y a pas assez de créativité dans la vie. »
CRISE ET CONFIANCE
Les fenêtres de l’école ont été condamnées pour protéger les enfants contre les éclats d’obus et les balles perdues. Mais même dans ces conditions difficiles, le fait de pouvoir aller à l’école procurait à Anton, un élève de première année fréquentant la même école que Daryna, un peu de stabilité.
« J’aime jouer au ballon pendant les pauses », dit Anton, alors qu’il est assis sur les genoux de sa mère Ania.
Ania explique que le stress lié au conflit a entraîné un retard de langage chez son fils, mais elle précise que depuis qu’il a commencé l’école, il a plus confiance en lui.
« Dès le premier jour, tout le monde l’a aimé », souligne Ania. « Il est très sociable. Tout le monde a droit à des baisers et à des câlins de sa part! »
Environ 430 000 enfants souffrant de blessures psychologiques causées par une enfance difficile dans le contexte du conflit prolongé auront besoin d’un soutien continu. Partout dans l’est de l’Ukraine, l’UNICEF et ses partenaires viennent en aide aux enfants, aux jeunes et aux proches aidants en leur fournissant un soutien psychosocial et en les sensibilisant aux risques posés par les mines. Grâce à l’aide humanitaire financée par l’UE, l’UNICEF aide également à réparer les écoles, les maternelles et les installations d’eau et d’assainissement essentielles qui ont été endommagées.
Malgré les risques, les enfants de la région voulaient continuer d’aller à l’école. Mais la propagation de la COVID-19 a changé le cours des choses, et a forcé la fermeture de l’école de Daryna et Anton. Ainsi, les enfants de villes comme Zolote ont perdu même ce semblant de normalité.
« Anton se sent bien à l’école et peut y jouer avec d’autres enfants. À la maison, il s’ennuie et pleure beaucoup », précise Ania.
NULLE PART OÙ ALLER
Depuis le début du conflit, nombreuses sont les personnes qui ont perdu leur emploi. La hausse du prix des biens de première nécessité et les coûts liés aux travaux de réparation des maisons endommagées par les bombardements faisaient déjà en sorte que de nombreuses familles n’avaient plus beaucoup d’argent, voire plus du tout, à la fin du mois. Désormais, avec la pandémie de COVID-19 avec laquelle il faut composer, le manque de soins de santé et d’installations sanitaires sûres a entraîné un double fardeau pour les familles comme celle d’Ania.
« Tous ceux qui peuvent partir s’en vont », dit-elle.
Malgré la fermeture de l’école, Ania et les membres de sa famille resteront à Zolote, du moins, pour le moment. Ils n’ont pas d’autre choix. « Je n’ai pas d’argent pour aller où que ce soit », précise-t-elle.
Alors que le conflit entre dans une nouvelle année, et que tout espoir de paix semble toujours impossible compte tenu du non-respect persistant du cessez-le-feu, les habitants de Zolote doivent s’attendre à vivre d’autres nuits remplies par le bruit des explosions d’obus. Toutefois, l’absence de tranquillité nocturne n’a pas empêché Daryna de rêver.
« J’espère qu’un jour, cette guerre prendra fin », dit-elle. « Quand je serai grande, je veux être institutrice pour pouvoir enseigner le chant et les arts. »