Après le traumatisme du déplacement, l’éducation est source d’espoir
Xaar-Xaar, État de Galmudug en Somalie
Habiba Hussein Ali avait déjà connu des sécheresses auparavant, alors de ce moment où les pluies saisonnières ont manqué et où son maïs s’est fané sur tige, elle dit : « C’était difficile, mais pas dévastateur. » La catastrophe a suivi. Au fil des mois sans pluie, son bétail est tombé malade et est mort, jusqu’à ce qu’il ne reste que des nuages de poussière sur les champs secs de sa ferme autrefois florissante dans le sud-ouest de la Somalie.
« Quand j’y repense, je pleure intérieurement. J’avais une belle vie. Il n’y a rien de mieux que d’élever son propre bétail et de cultiver ses propres cultures », a déclaré Habiba. Ce n’est que lorsqu’elle et les membres de sa famille ont tout perdu qu’ils se sont joints à l’exode des personnes fuyant la faim. « Nous avons essayé de persévérer, mais la sécheresse était si grave que nous n’avons pas pu résister », a-t-elle ajouté.
Dans le monde, 117 millions de personnes ont été contraintes de fuir leur domicile; trois personnes sur cinq sont déplacées ou déracinées à l’intérieur de leur propre pays. En Somalie, le nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays s’élève à 3,9 millions, ce qui signifie qu’un cinquième de la population a des histoires comme celle d’Habiba, qui ont vu leur vie bouleversée par un conflit, une sécheresse ou une inondation.
Alors que les conflits qui ravagent la Somalie depuis trois décennies s’atténuent progressivement et que la stabilité politique s’accroît, les changements climatiques sont devenus le nouveau facteur de déplacement, avec des cycles de sécheresse et d’inondations de plus en plus fréquents et graves. La sécheresse qui a forcé Habiba à abandonner son domicile en 2017 a été suivie d’une autre en 2023.
Le terme « déplacement » est un terme bénin pour désigner une expérience traumatisante. Pourtant, dans un pays comme la Somalie, où les services essentiels comme les soins de santé et l’éducation sont rares, cela peut signifier être plus loin du danger et plus proche du soutien qui permet aux personnes de prendre un nouveau départ si elles survivent.
Un terrible périple
Pendant des mois, Habiba et sa famille ont principalement voyagé à pied de leur village près de Baidoa jusqu’à Galkayo, ce qui correspond à peu près à la distance à parcourir à pied entre Ottawa et Philadelphie. Le voyage a été humiliant pour ce couple fier qui venait de prospérer. Son mari et elle ont été obligés de mendier de la nourriture et de travailler dans une ville située le long de la route. « C’était une expérience très douloureuse que nous n’aurions jamais pensé vivre, de demander de l’aide », a-t-elle déclaré.
Le pire était à venir. Affaiblis par la faim, trois des enfants d’Habiba ont succombé au choléra avant que son mari, Aden, épuisé, ne tombe lui aussi malade et ne décède peu après. « La douleur était intense. Ce que j’ai enduré pendant ce voyage était terrible », a déclaré Habiba en essuyant ses larmes.
Au cours des six années difficiles et solitaires qui ont suivi, Habiba, aujourd’hui âgée de 41 ans, s’est efforcée de reconstruire une vie pour ses enfants survivants à Xaar-Xaar, une zone broussailleuse balayée par les vents, située à 11 kilomètres au sud de Galkayo. Elle fait des lessives pour gagner sa vie tandis que son fils âgé de 17 ans, Yunus, contribue à subvenir à leurs besoins en travaillant comme cireur de chaussures en ville. Ces efforts déterminés, explique Habiba, sont la raison pour laquelle sa fille âgée de 12 ans, Hawa, a pu devenir la première de la famille à aller à l’école.
Dans un pays où quatre millions d’enfants ne sont pas scolarisés, le déplacement a signifié, pour beaucoup, la possibilité de s’inscrire à l’école pour la première fois, en particulier pour les filles qui sont généralement laissées pour compte lorsque les parents décident quel enfant éduquer.
« Je n’aurais jamais pensé qu’un de mes enfants prendrait un stylo et écrirait son nom. « Chaque jour, je suis la mère la plus fière quand Hawa va à l’école! », a déclaré Habiba avec un large sourire.
L’éducation n’avait jamais été une possibilité auparavant, ni même une pensée : il n’y avait pas d’école dans le village, et le meilleur espoir pour une jeune fille comme Hawa était de suivre les traces de sa mère, de travailler la terre, de se marier jeune et d’avoir de nombreux enfants pour partager le fardeau de la survie.
Aujourd’hui, une autre voie s’ouvre à elle. « J’ai bon espoir qu’Hawa puisse un jour nous aider tous. Elle deviendra peut-être médecin ou enseignante et pourra ainsi faire bénéficier toute la famille de son éducation », a déclaré Habiba.
« Je veux leur rendre la pareille »
Après avoir fait les tâches du matin, c’est-à-dire préparer du thé et des galettes de sorgho canjeero, Hawa marche pendant une demi-heure dans son hijab lumineux jusqu’à l’école Mustaqbal, accompagnée de sa sœur âgée de neuf ans, Aniso, qui a également été inscrite. L’école est l’un des 66 établissements scolaires de l’État de Galmudug qui font partie de la campagne À toute épreuve de l’UNICEF, soutenue par le gouvernement du Canada, pour aider à éduquer les filles en payant leurs uniformes scolaires et leurs serviettes hygiéniques pour qu’elles ne manquent pas l’école pendant leurs règles et en contribuant aux salaires du personnel enseignant. Le ministère de l’Éducation paie le reste des salaires, ce qui signifie que l’école n’a pas besoin de facturer de frais, et le repas du midi est également fourni, ce qui incite davantage les parents à envoyer régulièrement leurs enfants à l’école.
Hawa étudie sérieusement pendant la journée et, pendant les récréations, elle rit et joue avec ses amies en se poursuivant sur le terrain sablonneux de l’école ou en sautant à la corde. Sa petite sœur et elle sont toutes deux des enfants joyeuses et insouciantes. Elles sourient facilement et ne semblent pas porter le poids de la tragédie familiale. Ce sont plutôt Habiba et Yunus qui ont porté ce fardeau, en faisant de nombreux sacrifices pour offrir aux filles la possibilité de s’instruire.
« Quoi que j’aie souffert, j’espère qu’un jour Hawa et Aniso prendront soin de la famille et que je pourrai me reposer », a déclaré Habiba.
Sa fille aînée partage cette vision, mais prend cette responsabilité avec légèreté. « J’aime aller à l’école parce que je veux subvenir aux besoins de ma famille à l’avenir. J’aimerais devenir infirmière ou médecin pour aider les autres s’ils tombent malades, mais surtout mon frère et ma mère, car ce sont eux qui m’ont poussée à aller à l’école. Je veux leur rendre la pareille », explique Hawa.