En Somalie, les filles acquièrent des compétences en communication et de l’assurance grâce à des clubs d’autonomisation en milieu scolaire
Dans une classe au sol en ciment de l’école primaire pour filles de Borama, au Somaliland, un groupe de 15 filles portant des foulards blancs et des tuniques marron bavardent en groupe, blotties les unes contre les autres sur des bancs en bois brut. Elles discutent d’un scénario fourni par leur enseignante, un scénario qui leur est familier. « Une fille nommée Sagal est assise avec ses frères et sœurs, dit l’enseignante aux filles. Lorsque sa mère lui demande de l’aider à préparer le souper, Sagal perd son sang-froid et refuse avec colère. Pourquoi Sagal a-t-elle refusé d’obtempérer? », a demandé Nimo Barkab Adour, l’enseignante.
« Sagal est-elle la seule à qui l’on demande toujours de faire les corvées? », suggère l’une des filles, avec l’instinct d’injustice d’une adolescente.
« Peut-être qu’elle est en colère pour une autre raison », propose une autre.
« Oui, convient l’enseignante, peut-être que sa propre colère intérieure est à l’origine du refus. Nous devons aider les parents à comprendre si nous ressentons quelque chose de particulier. Nous devons le leur expliquer. » En d’autres termes, parlez à vos parents et soyez ouvertes et honnêtes.
Cette réunion hebdomadaire d’un club d’autonomisation des filles était une rencontre typiquement joyeuse visant à accroître la confiance des filles en renforçant leurs compétences en matière de communication, en les aidant à comprendre et à exprimer leurs émotions, et à gérer les conflits avec leurs amis, leurs parents et d’autres personnes. Il existe aujourd’hui 30 clubs de ce type dans les écoles du Somaliland, y compris dans la capitale, Hargeisa, offerts dans le cadre du programme À toute épreuve de l’UNICEF, soutenu par le gouvernement du Canada, pour renforcer l’éducation des filles.
Renforcer la confiance
« Le club d’autonomisation des filles a renforcé ma confiance en moi. Il m’a aidée à me dépasser », a déclaré Saharla Abdikarim Adan, 13 ans, avec un sourire perpétuel sur le visage. Pour Saharla, le club de filles a fait en sorte que l’éducation ne se limite pas à l’apprentissage des matières et à la réussite des examens. « Cela m’a permis d’ouvrir de bons canaux de communication avec mes parents – je ne me fâche plus aussi facilement – et cela a également renforcé mes liens d’amitié avec les autres filles. »
Dans la société conservatrice et patriarcale du pays, les normes liées au genre signifient que les filles sont en queue de peloton lorsque les parents décident quels enfants ils peuvent se permettre d’envoyer à l’école et lesquels doivent rester à la maison pour aider aux tâches ménagères ou s’occuper de leurs frères et sœurs plus jeunes.
Même lorsqu’elles ont la chance d’aller à l’école, les filles sont souvent moins nombreuses et intimidées par les garçons, et négligées ou ignorées par les enseignants, essentiellement masculins. Pour compliquer encore les choses, de nombreux sujets sociaux touchant les adolescentes sont considérés comme culturellement tabous et sont rarement abordés, par exemple les cycles menstruels ou les changements émotionnels, laissant les filles affronter seules l’adolescence.
Il en résulte que les filles sont moins susceptibles de commencer l’école et, si elles le font, elles risquent davantage d’abandonner leurs études.
La mère de Saharla, Fihima, n’a pas terminé ses études primaires, et elle est déterminée à ce que ses filles le fassent. Il y a six ans, elle a transféré Saharla d’une école mixte à une école réservée aux filles où, selon elle, « elle a mieux réussi grâce aux enseignantes ».
Des retombées importantes
Pour Saharla, une enseignante en particulier se distingue, Nimo, qui a été formée comme mentore par l’entremise du programme À toute épreuve pour diriger le club d’autonomisation des filles, et dont l’implication a encouragé Saharla à joindre le club lorsqu’il a démarré en 2023.
Nimo a déclaré que le club « donne aux filles de l’assurance et leur permet de parler de tous les problèmes qui les touchent ». Elle a mentionné qu’il n’existait rien de tel lorsqu’elle était jeune fille : « J’ai eu des problèmes émotionnels pendant mon adolescence; cela m’aurait beaucoup aidée. »
La confiance en elle que Saharla a acquise est un hommage au succès de Nimo, qui sait amener les filles à s’extérioriser. Les 19 membres du club sont issues de cinq groupes d’âge différents, ce qui leur donne une rare occasion de s’asseoir ensemble, de discuter, d’apprendre les unes des autres et de partager leurs expériences.
Dans la capitale, Hargeisa, à 120 kilomètres de là, un autre club d’autonomisation des filles est ouvert à l’école primaire Fatuma Bihi, une grande école mixte située à la périphérie sud de la ville. Les 17 adolescentes du club sont assises en cercle sur le sol et se lèvent à tour de rôle pour parler au groupe.
Pour Fatuma Abdi Warsame, 17 ans, la chose la plus importante qu’elle a apprise est « comment gérer ses émotions et avoir moins de disputes à la maison ». Son amie, Hibo Ibrahim Mohamed, 15 ans, est du même avis et ajoute : « Je suis maintenant plus à même de soutenir ma mère à la maison. »
« Les clubs d’autonomisation des filles sont organisés dans les écoles, mais leurs répercussions sont plus larges et plus profondes », a déclaré la mère de Saharla. « Le club a aidé Saharla à prendre les devants et à mieux communiquer, et nous le constatons à la maison et à l’école, mentionne-t-elle. Notre relation s’est améliorée : nous nous parlons davantage. »
Un avenir différent
La sœur de Saharla, Sondos, le constate également, affirmant que leur relation s’est renforcée depuis que Saharla est entrée dans l’adolescence et qu’elle a appris à exprimer ses sentiments. « Nous sommes plus proches que des sœurs : nous sommes des amies très
proches et des confidentes », a déclaré Sondos, 19 ans, qui partage le même large sourire que sa sœur.
Sœur, amie et confidente, Sondos est aussi un modèle. Elle est étudiante de deuxième année en cybersécurité à l’université Amoud de Borama, qui est réputée au Somaliland comme une ville d’universités et d’apprentissage. Sondos est impressionnée par l’impact du club sur Saharla. « J’ai de grands espoirs pour l’avenir de Saharla. Ce club lui a donné les moyens d’agir et lui a permis de se concentrer », a-t-elle déclaré.
« Saharla est encore jeune et son avenir s’ouvre devant elle, mais une chose dont elle est sûre, c’est qu’elle n’abandonnera pas l’école prématurément et qu’elle n’aura pas dix enfants comme sa mère », dit-elle en riant.
« J’espère que Saharla terminera ses études au plus haut niveau et qu’elle enseignera ensuite à son tour », a déclaré Fihima. Sa fille partage une partie de ce rêve, le fait de terminer ses études, mais après cela? « Je veux être pilote », affirme Saharla en souriant.
Il semble que ses compétences en matière de communication et de négociation ne tarderont pas à être à nouveau mises à profit.