En Somalie, les filles saisissent la possibilité d’accéder à l’éducation, mais des obstacles subsistent pour les enfants en situation de handicap
À l’école primaire Haji Aden, à la périphérie nord de la ville de Dangorayo, Faiza, 14 ans, est aussi enthousiaste aujourd’hui que lorsqu’elle a franchi le seuil de l’école pour la première fois il y a cinq ans.
Elle porte avec fierté l’uniforme hijab de couleur tangerine, excelle en mathématiques et en sciences, adore l’histoire et la géographie, travaille assidûment à ses devoirs avec ses amis et envisage de devenir médecin, une ambition qui comble de joie son père, bricoleur et charpentier.
« J’ai toujours aussi hâte de me rendre à l’école tous les jours, affirme Faiza en affichant un immense sourire qui fait apparaître des fossettes sur ses joues. J’adore me réveiller, marcher jusqu’ici avec mes amis et apprendre quelque chose de nouveau chaque jour! »
Son empressement s’explique en partie par le fait qu’elle a failli ne pas accéder à l’éducation du tout.
La famille de Faiza a fui le conflit dans la capitale Mogadiscio, à un millier de kilomètres de là, et a commencé à rebâtir sa vie à Dangorayo, dans l’État du Puntland au nord du pays. Mais le père de Faiza avait du mal à payer les frais de scolarité de 10 $ par mois pour chacun de ses 12 enfants, donc pendant que ses amis allaient à l’école, Faiza restait à la maison. « Je voyais les autres filles du quartier porter ce bel uniforme et je voulais en faire autant », raconte-t-elle.
Un rêve qui renaît
Le rêve que représentait l’éducation pour Faiza semblait lui échapper jusqu’à ce que l’UNICEF lui offre une bourse d’études pour couvrir ses frais de scolarité. La bourse est fournie par le programme À toute épreuve d’UNICEF Canada, soutenu par le gouvernement canadien, dont l’objectif consiste à améliorer l’accès à une éducation de qualité pour les adolescentes et les enfants vivant avec un handicap, dans un pays où trois enfants sur cinq ne fréquentent pas l’école.
Après avoir commencé avec trois ans de retard, Faiza a été inscrite au programme d’éducation de base accélérée de Puntland, qui condense le programme d’études, ce qui lui a permis de rattraper le temps perdu. Elle a rapidement comblé son retard et est devenue l’une des meilleures élèves de sa classe.
« Une bourse est une bouée de sauvetage, explique Mohamed Said Issa, le directeur de l’école. Nous avons ici 36 filles qui ont reçu une bourse, sans laquelle l’accès à l’éducation serait extrêmement difficile. »
Pour les enfants déplacés par les conflits, comme Faiza, les bourses d’études font la différence entre une éducation qui ouvre la voie vers un avenir meilleur et l’exclusion qui anéantit l’espoir.
Dans le cas des enfants en situation de handicap cependant, les obstacles sont encore plus importants : ils sont confrontés à la stigmatisation sociale, à une discrimination généralisée et à un manque de soins et de soutien appropriés, ainsi qu’à la lutte quotidienne que représente leur alimentation, sans parler des frais de scolarité, dans un pays ravagé par des décennies de conflit, par une catastrophe climatique qui s’aggrave et par une pauvreté endémique.
Rendre l’éducation inclusive
À l’école primaire Haji Aden, il n’y a pas d’enfants vivant avec un handicap parmi les 510 élèves, non pas parce que la communauté n’en compte aucun, ni parce que les enseignants ne sont pas en mesure de les accueillir ou sont réticents – ils ont tous reçu une formation spécialisée, soutenue par l’UNICEF, en matière d’éducation inclusive pour les enfants vivant avec un handicap et d’enseignement du programme d’éducation de base accélérée – mais parce que l’école ne dispose pas des outils nécessaires à ce que l’éducation inclusive devienne une réalité.
« C’est très difficile, ajoute Mohamed, idéalement, nous aimerions offrir une éducation à nos enfants en situation de handicap ici, mais ce n’est pas possible pour l’instant parce que nous manquons d’équipement. »
Cet équipement peut s’agir de quelque chose d’aussi simple que les rampes installées dans d’autres écoles permettant l’accès des enfants présentant un handicap physique, ou de quelque chose de plus compliqué, comme la formation à la langue des signes des enseignants d’enfants malentendants.
Pour les étudiants malvoyants, cela signifie des manuels en braille, ainsi que des ardoises et des stylets en braille (l’équivalent d’un stylo et d’une feuille de papier), qui ne sont actuellement disponibles qu’à un seul endroit de Puntland, c’est-à-dire à l’Institut Al-Basar pour les aveugles, à Garowe, capitale de l’État. Depuis Dangorayo et d’autres endroits du nord-est de la Somalie, des enfants touchés par des déficiences visuelles importantes fréquentent cet institut pionnier.
Lorsqu’Abdinasir Gureye Kash a fondé Al-Basar en 2008, sa motivation était personnelle : il était né non-voyant, tout comme quatre de ses enfants, et il voulait leur offrir une éducation qui n’existait nulle part ailleurs. Son fils Ismail, âgé de 26 ans, a fait partie de la première cohorte d’Al-Basar et a terminé ses études primaires à l’institut avant d’intégrer un établissement d’enseignement secondaire public traditionnel, puis l’université où il a décroché une maîtrise.
« J’ai reconnu les besoins de tous les aveugles de ce pays », déclare Abdinasir, en serrant sa canne blanche. »
« Nous avons brisé les barrières »
L’une des clés du succès de l’institut est une paire d’imprimantes braille Everest-D qui ronronnent et retentissent tout au long de la journée, transformant les pages numérisées des manuels scolaires de l’État en rangées de points en relief que les élèves du primaire de
l’école peuvent utiliser. Une fois diplômés – sachant lire et écrire en braille – les élèves d’Al-Basar rejoignent les écoles secondaires traditionnelles, mais l’institut continue de traduire leurs manuels en braille, ce qui leur permet de participer pleinement au système d’éducation de l’État.
En partenariat avec le ministère de l’Éducation, l’UNICEF prévoit de procéder à l’impression de versions en braille des manuels d’éducation de base accélérée, de mettre à l’essai leur utilisation dans les écoles, de répondre à l’appel à l’éducation inclusive lancé par Mohamed, le directeur de l’école, et d’éradiquer la stigmatisation à laquelle sont confrontés les enfants vivant avec un handicap en Somalie.
« Nous avons brisé certaines barrières et montré que les personnes non voyantes peuvent recevoir une éducation et accomplir de grandes choses, souligne Abdinasir avec fierté. Nous avons l’impression d’avoir changé les mentalités. »
Il est d’autant plus fier que tous ses professeurs soient eux-mêmes diplômés d’Al-Basar, y compris son fils, Ismail. Lorsqu’on lui demande où il serait sans l’établissement d’éducation que son père a mis sur pied, Ismail éclate de rire puis hausse les épaules : « je serais chez moi, dans ma chambre, à ne rien faire ».
La collègue d’Ismail, Faiza Abdisalam, âgée de 23 ans, ajoute, « j’ai toujours voulu être enseignante, pour rendre service, en particulier aux enfants malvoyants, car je comprends exactement ce qu’ils vivent ».
Les quatre filles et les trois garçons de la classe de Faiza, âgés de 8 à 36 ans, apprennent à utiliser leurs ardoises en braille. Ils s’appliquent soigneusement à percer le pochoir en plastique sur le papier, et sourient lorsque les mots apparaissent sous leurs doigts.
« Ce n’est qu’un début, affirme Faiza. Il est important de se sentir comme ceux qui peuvent voir, de combattre la stigmatisation et de comprendre que nous sommes tous égaux. Je veux qu’ils réussissent dans la vie, dit-elle à propos de ses élèves, qu’ils obtiennent un diplôme universitaire et qu’ils ne se limitent pas en raison de leur déficience visuelle. »
Pour les filles de Somalie, qu’elles vivent ou non avec un handicap, le parcours vers l’avenir radieux que Faiza souhaite pour ses élèves est varié, mais il commence toujours par la même chose : un puissant désir d’apprendre et un soutien adéquat.