Forcée de quitter l’école et d’épouser un homme deux fois plus âgé qu’elle : les conséquences de la sécheresse en Éthiopie
Par Raphael Pouget
La jeune Enat (nom fictif), âgée de 13 ans, a été forcée de quitter l’école et d’épouser un étranger pour aider sa famille à faire face à la sécheresse en Éthiopie.
Enat était une élève brillante, une jeune fille promise à un bel avenir jusqu’à ce que sa vie bascule. Afin de subvenir aux besoins de sa famille touchée par la sécheresse, elle a été contrainte d’épouser un inconnu de plus de 17 ans son aîné.
« Cela s’est passé il y a deux mois, je n’en savais rien. Lorsque j’ai appris que les deux familles s’étaient déjà entendues, j’ai protesté, j’ai supplié, j’ai pleuré, mais je n’ai rien pu faire », se souvient Enat.
La sécheresse qui sévit actuellement dans le district de Dassanech a plongé des milliers de familles dans une pauvreté extrême. « En Éthiopie, le mariage des enfants est interdit et puni par la loi. Malgré cela, nous avons constaté une nette augmentation dans la région ces derniers mois, principalement en raison de la sécheresse », observe Maldret Tarekgn, la responsable du bureau régional chargé des affaires relatives aux femmes et aux enfants, qui travaille en collaboration avec l’UNICEF pour prévenir les mariages d’enfants et aider les victimes.
« Avant l’arrivée de la sécheresse, nous vivions bien. Mon père possédait un gros cheptel de plus de 100 têtes de bétail. Il n’aurait jamais accepté de me marier. Puis, faute d’eau et de pâturages, les bêtes sont mortes les unes après les autres. C’est alors qu’ils ont dû se résigner à quitter le village et à me trouver un mari », se souvient Enat.
« Ils n’avaient plus rien pour nous nourrir; c’était la seule solution. Avec le cadeau de mariage de mes beaux-parents, soit quelques bêtes, ils ont pu acheter du maïs et du sorgho pour nourrir le reste de mes frères et sœurs. »
« C’est devenu une situation de survie. »
Dans le district de Dassanech, la tradition veut que le mariage soit décidé après négociation entre les deux familles. La famille du mari offre une contribution à la famille de la mariée, généralement sous forme de bovins, de chèvres ou de moutons. Une fois l’accord conclu, le mariage peut être célébré. Habituellement, lorsque la fille est trop jeune, elle reste chez ses parents jusqu’à sa puberté. Cette pratique a cependant été compromise en raison de la sécheresse.
« La pression exercée sur les familles est telle qu’elles ne peuvent souvent pas se permettre une bouche de plus à nourrir, alors la fille quitte immédiatement le domicile parental. Nous avons constaté que de nombreuses familles acceptent même de marier leurs filles à des hommes de conditions plus modestes, comme des pêcheurs. Elles abandonnent le droit au bétail en échange d’un approvisionnement en poissons. C’est une nouvelle façon de survivre pour faire face à la sécheresse. C’est devenu une situation de survie », explique Maldret.
« Je ne veux pas que [mon mari aille en prison], qu’adviendrait-il de ma famille? »
Avec l’appui des autorités locales, l’UNICEF a mis en place des clubs scolaires pour sensibiliser au mariage précoce et à la santé sexuelle et reproductive (puberté, maladies transmises sexuellement, menstruations, etc.). En plus des cours théoriques, les filles reçoivent des trousses de dignité contenant des pains de savon et des serviettes hygiéniques qui leur permettent de rester à l’école lorsqu’elles ont leurs règles.
« Grâce aux clubs scolaires, nous sensibilisons les jeunes filles au mariage précoce. Nous leur apprenons à reconnaître les signes avant-coureurs et qui alerter, qu’elles soient directement concernées ou qu’elles aident une autre fille de leur communauté. Lorsque nous avons des indices qu’un mariage avec une mineure va avoir lieu, nous intervenons immédiatement et faisons un suivi très rigoureux auprès de la jeune fille pour nous assurer que le mariage n’aura pas lieu. Mais la principale difficulté réside dans les régions reculées. Les filles qui y vivent ne vont pas à l’école, elles ne sont pas instruites, et le mariage se fait souvent discrètement », explique Maldret.
« Le plus difficile pour moi, c’est que j’ai dû quitter l’école parce qu’il, [mon mari], ne m’a pas permis de continuer. J’aime l’école, je veux devenir médecin. Ma famille a beaucoup souffert du manque de services de santé de base à la campagne. J’aimerais donc établir une clinique pour pouvoir prendre soin de ma famille et de ma communauté. Mais, maintenant, je ne fais que les tâches ménagères à la maison : cuisine, ménage et approvisionnement en eau », dit Enat.
« Mais je reste optimiste pour l’avenir », conclut-elle.
L’UNICEF s’emploie à étendre les services essentiels de protection de l’enfant et de lutte contre la violence basée sur le genre afin de répondre aux besoins croissants de protection des femmes et des enfants vulnérables dans la Corne de l’Afrique. Cela comprend la mise en œuvre de programmes communautaires visant à réduire les risques de violence, d’exploitation, de mauvais traitements et de mariage d’enfants, et la prestation de services pour aider les femmes et les enfants à se rétablir après avoir subi des actes de violence.