Billet de blogue rédigé par l’auteure invitée Sarah Crowe, spécialiste principale de l’UNICEF chargée des communications liées à la migration et aux réfugiés.

Agadez, Niger Rien n’est aussi loin de l’image qu’on se fait des portes du paradis que cette terre qui s’étend à perte de vue et sur laquelle règne une chaleur torride.

Ce désert est bien réel. Terrés dans les ghettos et dispersés en périphérie d’une ville ancienne aux couleurs safran, des centaines de personnes migrantes aux espoirs anéantis et aux rêves brisés affluent dans des centres, en détresse. Ils arrivent de pays voisins, ou tentent de s’y rendre. Parfois, leur destination ou leur pays de départ se trouve encore plus loin. Certains, mais, étonnamment, pas la plupart, ont l’objectif ultime de réussir à traverser les sables brûlants du Sahara pour se rendre dans un endroit qui est en train de devenir un eldorado hors d’atteinte : l’Europe. Parmi les voyageurs, on compte de nombreux enfants voyageant seuls ou séparés de leur famille, des mères qui allaitent, des nouveau-nés, et une foule de jeunes hommes furieux d’avoir été forcés de fuir.

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[© UNICEF/UN0209707/Gilbertson VII Photo]

Agadez était autrefois la capitale migratoire de l’Afrique, un carrefour pour les gens en déplacement, un centre des affaires trépidant pour les contrebandiers, un pôle stratégique pour les trafiquants attendant leur marchandise humaine, et un endroit où on trouvait des boutiques sur le bord des rues vendant des masques. C’était un endroit où on pouvait acheter des lunettes de soleil, un article fort utile pour entreprendre un dur voyage dans le désert. Les autorités fermaient les yeux, jadis. Mais aujourd’hui, l’Europe et l’Afrique du Nord resserrent leurs frontières et ferment leurs ports, créant ainsi des situations dramatiques en haute mer. En raison des mesures de répression à l’égard de la migration, cette route improbable est devenue, dans les faits, la nouvelle frontière de l’Europe. Cette année, de janvier au début juin, l’arrivée de migrants en Italie a diminué de deux tiers comparativement à la même période l’an dernier, alors que 60 000 migrants avaient franchi la frontière en provenance de l’Afrique du Nord.

Depuis novembre de l’an dernier, plus de 8 000 Ouest-Africains qui sont arrivés en Algérie, dont 2 000 enfants, ont été renvoyés au Niger, et 900 réfugiés et demandeurs d’asile de l’Afrique de l’Est qui se sont rendus en Libye ont été transférés au Niger, et attendent d’être réinstallés ou réunis avec leur famille, un processus lent et fastidieux qui sera déterminant quant à leur avenir.

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[© UNICEF/UN0209707/Gilbertson VII Photo]

Le Niger est l’un des pays les plus pauvres du monde. Et pourtant, c’est lui qui paie les frais des politiques « loin des yeux, loin du cœur » adoptées par les pays plus riches.

Des ententes hâtivement rédigées conclues entre un pays puis un autre – l’Union européenne et la Turquie, l’Union européenne et la Libye, la France et le Niger, l’Algérie et le Niger – font en sorte qu’au bout du compte, le problème des flux migratoires ne concerne personne, les migrants étant relocalisés d’un endroit à un autre, et ce, toujours plus au sud. Les enfants sont ceux qui paient le plus lourd tribut compte tenu du manque ou de l’absence de structures adéquates pour les protéger.

Ces refoulements ont augmenté l’importance des enjeux et font en sorte que les routes sont plus dangereuses.

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[© UNICEF/UN0209707/Gilbertson VII Photo]

Dans l’agitation d’une tempête de poussière où régnait une chaleur accablante, nous avons rencontré un jeune guinéen furieux d’avoir été jeté hors de l’Algérie, où il vivait dans la rue. Il survivait grâce à des petits boulots. Malgré sa diatribe gesticulante intense, ce qu’il avait à dire était aussi avisé qu’affligeant : « Le désert est devenu un cimetière pour nos frères africains et personne ne s’en soucie. »

Ce jeune fait partie de ces gens qui sont revenus de l’Algérie et qui ont été abandonnés au milieu de nulle part dans le désert par des températures avoisinant les 48 degrés Celsius, à des kilomètres de la frontière du Niger. Ils sont forcés de marcher jusqu’à ce qu’ils trouvent des moyens de transport et un endroit pour s’abriter. Plusieurs d’entre eux provenaient du Niger, de la commune appauvrie de Kantché, dans la région de Zinder, où la population est depuis longtemps réduite à la mendicité pour survivre.

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[© UNICEF/UN0209707/Gilbertson VII Photo]

Lorsque les migrants arrivent à Agadez, abandonnés dans une vaste plaine aride avec seulement quelques tentes, les enfants de la région circulent avec leurs bols de plastiques qu’ils utilisent pour mendier : ces enfants mendient auprès de ces mendiants revenus chez eux.

C’est une bande hétéroclite; certains pourraient même être considérés comme des réfugiés. J’ai rencontré des Libériens qui avaient fui leur pays durant la crise liée à l’épidémie du virus Ebola, des Guinéens ayant fui des conditions difficiles, des Nigérians ayant fui le régime imposé par Boko Haram, et d’autres ayant fui les tourments et les difficultés en Libye. Trois organismes des Nations Unies – l’UNHCR, l’OIM et l’UNICEF – ont multiplié leurs interventions au Niger. Or, beaucoup trop de gens tombent entre les mailles du filet lorsqu’ils sont entassés et éparpillés dans cet immense centre migratoire. Une jeune mère allaitant son nourrisson âgé de 2 semaines était mal à l’aise de ne pas encore avoir pu raser l’épaisse chevelure de son enfant conformément à la tradition.

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[© UNICEF/UN0209707/Gilbertson VII Photo]

« L’application rigoureuse de la loi anti-immigration a changé la dynamique du pays. Nous observons une énorme hausse du nombre d’enfants non accompagnés, qui empruntent des routes où ils ne peuvent pas être surveillés et c’est infiniment plus dangereux », affirme Dan Rono, un agent de protection de l’enfance de l’UNICEF. « C’est un voyage très éprouvant pour un adulte, alors vous pouvez imaginer que pour un enfant de 11 ans, c’est une épreuve  pratiquement insurmontable. »

En avril seulement, on a rapporté une augmentation de 14 % de personnes transitant par le Niger par rapport au mois précédent, dont environ un tiers étaient des enfants exténués et traumatisés. Le chiffre réel est probablement plus élevé, bon nombre d’enfants passant inaperçus ou se cachant.

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[© UNICEF/UN0209707/Gilbertson VII Photo]

Omar, un jeune garçon de 14 ans de la Sierra Leone, fait partie de ces statistiques cachées. Omar est un jeune adolescent portant une casquette des Yankees, une veste sans manche, des culottes courtes amples et des sandales; c’est d’ailleurs pratiquement tout ce qu’il possède. Il est incognito dans un endroit qu’ils appellent le « Ghetto », à l’extérieur d’Agadez, attendant l’occasion de traverser le désert. Il a quitté son foyer parce que son père ne payait pas ses frais de scolarité.

« J’ai pris la décision d’aller en Libye ou en Europe pour avoir une meilleure vie. Que Dieu me protège et me guide parce que je ne retournerai pas chez moi jusqu’à ce que je réussisse, jusqu’à ce que je devienne un bon garçon, afin que je puisse soutenir ma famille que j’ai laissée derrière moi », explique Omar. « Pour l’instant, si je reste chez moi, je ne serai pas sérieux. Je deviendrai un mauvais garçon. Je me mettrai à fumer, à boire… Je ne veux pas de cette vie, vous comprenez? Je ne veux pas devenir un mauvais garçon. Si je me rends en Europe, je pourrai poursuivre mes études. Je pourrai continuer à jouer au soccer. »

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[© UNICEF/UN0209707/Gilbertson VII Photo]

L’UNICEF rapporte que des études démontrent que bien que la plupart des enfants en déplacement restent en Afrique et n’ont pas le désir d’aller en Europe, parmi ceux qui disent vouloir s’y rendre, comme Omar, près d’un tiers veulent y aller pour avoir accès à une éducation.

Un ancien contrebandier, Dan Ader, qui a vu son entreprise lucrative s’envoler comme dans une tempête de poussière depuis le renforcement des restrictions, s’est confié à nous :

« Il existe des milliers de routes, et beaucoup de personnes meurent à cause de cela. Maintenant, la moindre petite défaillance de votre GPS peut entraîner la mort! Vous ne pourrez plus retrouver votre chemin. »

L’UNICEF estime qu’entre le mois de janvier et de mai, environ 120 enfants se sont noyés en mer. En mer, il y a des garde-côtes, au moins. Mais personne ne fait la patrouille dans la vaste et implacable mer de sable.

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[© UNICEF/UN0209707/Gilbertson VII Photo]

Mais cela ne les empêche pas d’essayer.

Le désespoir et les rêves les rendent philosophes et poètes, et comme les gribouillages sur les murs d’une cellule de prison, les graffitis sur les murs sinistres du ghetto racontent leur histoire griffonnée à l’aide de gros morceaux de charbon :

« Europe ou rien. Dieu est là! »

« Il vaut mieux mourir en mer que de mourir devant sa mère – sans rien. »

Le phénomène de la migration remonte à la nuit des temps; elle est considérée pour plusieurs comme un rite de passage vers l'âge adulte et est un simple mode de vie pour certains en quête d’une meilleure vie. La fermeture des ports et des frontières ne risque pas de mettre un frein à ces déplacements. Alors que la population de l’Afrique est la plus jeune au monde et est celle qui connaît la croissance la plus rapide à l’échelle mondiale, la population du nord est vieillissante. Les gribouillages sur les murs du ghetto crasseux d’Agadez nous rappellent l’une des raisons de cette migration :

« L’Afrique est riche mais ses enfants quittent à cause des mauvais gouvernements. »

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Pourtant, seulement environ 15 % des gens en déplacement en Afrique disent souhaiter se rendre en Europe.

La gestion du phénomène de la migration est donc un enjeu véritablement mondial et maintenant que le Pacte mondial sur les réfugiés et le Pacte mondial sur les migrations sont en voie d’être finalisés, l’Union européenne et d’autres instances doivent réellement saisir l’occasion pour placer les besoins des enfants déracinés devant les intérêts nationaux, s’engager à prendre des mesures transfrontalières prévisibles pour garder les enfants en sécurité et les familles ensemble, et investir dans des pays comme le Niger et d’autres pays de l’hémisphère Sud qui accueillent beaucoup plus de réfugiés et de migrants au cours d’un mois, voire d’une année complète, que les pays de l’hémisphère Nord.

Pour la plupart, le véritable paradis perdu est le fait d’être arrachés à son foyer et à ses êtres chers, et ce, particulièrement pour les enfants seuls. Ils comptent maintenant sur les puissants États membres, sur l’Union européenne et sur l’Union africaine pour mettre en place un système de migration adéquat qui ne les rejettera pas comme le vent qui les a poussés vers des rivages étrangers.

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[© UNICEF/UN0209709/Gilbertson VII Photo]

L’UNICEF et ses partenaires travaillent au Niger pour fournir à ces enfants dans le besoin un accès à l’éducation et du soutien. L’UNICEF a fourni une aide au gouvernement du Niger pour la construction de 42 salles de classe temporaires pour 2 100 enfants. Dans la foulée de cette même stratégie, le gouvernement est venu en aide à 2 492 enfants. L’objectif de cette initiative est d’assurer l’éducation des enfants déplacés afin qu’ils puissent intégrer le système scolaire régulier.

Les centres pour les jeunes soutenus par l’UNICEF au Niger aident également les enfants vulnérables à éviter les ennuis et à se remettre sur la bonne voie. Tous les enfants sont les bienvenus aux centres, même ceux qui sont en conflit avec la loi. Des bénévoles offrent du soutien et des conseils et agissent souvent à titre de médiateurs pour les enfants auprès de la police, devant les tribunaux et auprès des employeurs – et également auprès de leur famille.

Les centres du SEJUP (Service éducatif, préventif et judiciaire) soutenus par l’UNICEF sont de plus en plus populaires et efficaces, et jouent un rôle important pour aider les enfants qui sont dans le besoin, sans abri, abandonnés par leurs parents ou en conflit avec la loi.