Publié par :
David Morley
25 avril, 2017
« Notre village était si petit et si éloigné que nous croyions que la guerre ne nous atteindrait jamais, mais nous faisions erreur», dit Hassan en haussant lourdement les épaules
J’étais alors assis avec des collègues de l’UNICEF dans la maison d’Hassan, située un peu en dehors d’Amman en Jordanie. Elle consiste en une grande tente en plastique épais montée sur un cadre extérieur de métal. De magnifiques étoffes de brocart servent de murs à l’intérieur. Il y a un solide filet entre les deux.
« Depuis que nous avons le filet, les scorpions et les moustiques nous laissent tranquilles. »
Il revient à son histoire. « J’étais l’aîné du village. Les combattants sont venus et m’ont dit de choisir mon camp. Je ne voulais pas me battre, personne au village ne le voulait. Mais ils ont dit que nous devions le faire. Alors, nous avons décidé de partir. C’était le 14 novembre 2012. La date est restée gravée dans mon esprit. Ensuite, notre village a été détruit. »
Comme ils étaient fermiers avant d’arriver en Jordanie, ils ont commencé par y chercher du travail dans des fermes. C’est ce qui les a conduits au nomadisme et à se déplacer pour travailler aux récoltes un peu partout dans le pays.
« Ils sont les enfants les plus difficiles à aider. C’est pourquoi nous avons mis sur pied des centres Makani itinérants qui offrent aux enfants et aux jeunes des services complets en matière d’éducation et de compétences de la vie courante, ainsi que d’autres services essentiels qui les suivent là où ils vont », confie Hamid, le travailleur social du camp.
Comme dans la tente d’Hassan, la tente du centre Makani a de superbes tissus de brocart qui servent de murs et, tout comme le centre situé en ville, ce centre est rempli d’enfants prêts à partager avec nous. Des fillettes ont tenté de m’enseigner l’alphabet arabe… mais je n’étais pas très bon. Quand je leur ai demandé ce dont elles se rappelaient de la Syrie, les réponses ont fusé. « Je faisais de la bicyclette. », « Je portais une robe blanche! », « Une pataugeoire dans laquelle sauter! », « Notre ferme! ».
Lorsqu’une des fillettes m’a dit, « Mon grand-père est toujours en Syrie et nous nous parlons sur WhatsApp », j’ai figé. Je lui ai répondu : « Je suis grand-père et ma petite-fille vit loin de moi, alors je comprends à quel point ton grand-père aime recevoir de tes nouvelles. » Je pouvais comprendre, mais seulement jusqu’à un certain point, car je ne vis pas en zone de guerre.
L’un des principaux obstacles pour venir en aide à ces enfants reste la pauvreté. Après plus de six ans de conflit, un grand nombre de familles ont épuisé toutes leurs économies et se sont endettées. Pour vivre, beaucoup de familles doivent faire travailler leurs enfants. Il est même parfois plus facile pour un jeune adolescent ou une jeune adolescente de trouver du travail que pour ses parents.
Nous avons aussi vu le nombre de mariages précoces atteindre des sommets. Selon le rapport La situation des enfants dans le monde 2016, les mariages d’enfants sont quatre fois plus répandus qu’avant la guerre en Syrie. Les parents qui ont plusieurs bouches à nourrir sont tentés de marier leurs filles adolescentes dans l’espoir qu’elles auront une vie meilleure. Et ils ont ainsi une bouche de moins à nourrir. Je n’ose pas imaginer à quel point une telle décision doit être difficile à prendre.
Beaucoup de parents syriens comprennent l’importance de l’école, mais ils ont besoin de manger. Ils se battent pour survivre. Ils doivent faire un choix : nourrir leur famille aujourd’hui, ou souffrir de la faim pour être capables d’investir dans l’avenir de leurs enfants.
Devant les immenses problèmes causés par la pauvreté, l’UNICEF a mis sur pied un programme d’allocations en espèces afin d’aider plus de 55 000 enfants à avoir accès à l’école. Les parents reçoivent autour de 35 $ par mois depuis un guichet automatique avec balayage de l’iris pour éviter les vols. Ces fonds donnent la chance aux enfants les plus démunis d’avoir accès à l’éducation.
De retour dans la tente d’Hassan, je leur ai demandé quand ils pensaient pouvoir rentrer chez eux. « Cette année. Une conférence de paix se tient en ce moment », a répondu Hassan. Son épouse Fatima, en train de verser le thé sucré, est moins optimiste. « Il y a encore trop de combattants. Ils veulent se battre. Tout ce que je veux, c’est la paix afin qu’on puisse rentrer chez nous. »
Il existe un terme portugais pour lequel il n’existe pas vraiment de traduction : Saudade. Le mot désigne une immense mélancolie, une nostalgie empreinte de tristesse de ce qui a été perdu. C’est ce que je perçois chez les adultes ici. Ils font tout leur possible pour bâtir un avenir pour leurs enfants, pour garder la tête hors de l’eau et continuer d’avancer. Je suis si heureux que nous puissions aider ces enfants et leur donner un soupçon d’espoir. En attendant, ils continuent d’espérer l’arrivée de la paix afin de pouvoir rentrer à la maison.
David Morley est le président et chef de la direction d’UNICEF Canada. Il a récemment accompagné la ministre du Développement international Marie-Claude Bibeau en Jordanie, afin de constater le travail effectué dans le cadre du programme de l’UNICEF pour les enfants syriens réfugiés, qui est soutenu par le Fonds de secours d’urgence pour la Syrie. UNICEF Canada remercie le gouvernement du Canada pour son généreux soutien.