Vivre dans un camp de réfugiés : les enfants de Zaatari, partie 2
Dans la deuxième partie de son billet de blogue, Bayan partage des souvenirs personnels sur les trois semaines qu’elle a passées dans le camp de réfugiés de Zaatari. Lisez la partie 1 du blog de Bayan ici.
28 octobre : Visite d’une école publique à Zaatari
Cette école publique, l’une des 13 écoles de Zaatari, est gérée par le ministère de l’Éducation de la Jordanie, qui embauche également le personnel enseignant. L’école suit le programme d’éducation jordanien et les élèves passent les examens officiels à la fin du secondaire. Certains élèves fréquentant les écoles de Zaatari ont d’ailleurs obtenu de très bons résultats. Un nombre limité de bourses permet aux étudiants de poursuivre leurs études à l’Université de Jordanie, située à Amman. L’UNICEF s’occupe de la construction de l’école et supervise son fonctionnement et son entretien.
Cette école n’a pas encore d’électricité, ce qui signifie qu’il n’y a ni éclairage, ni chauffage, ni climatisation, ni technologie. Sans électricité, il fait très sombre en hiver, à un tel point que les élèves ne peuvent même pas voir le tableau noir. Il y a deux périodes d’enseignement par jour : une période réservée aux filles le matin et une réservée aux garçons l’après-midi. Chaque période dure trois heures, ce qui signifie que les enseignants ne disposent que de ces quelques heures pour transmettre toute leur matière!
30 octobre : Rencontre avec les intervenants de la période de l’après-midi
Je me suis présentée en indiquant la raison de ma présence. Le fait de leur dire que je suis moi aussi une survivante de la guerre m’a rapprochée d’eux. Je me suis assurée de faire comprendre aux intervenants qu’ils possèdent de nombreuses compétences en enseignement et que j’étais là pour apprendre et travailler avec eux afin de trouver des solutions à certains des défis auxquels ils font face en matière de gestion de classe et de gestion des comportements. Ensuite, les intervenants se sont présentés : la plupart d’entre eux vivent à Zaatari depuis sept ans. Certains d’entre eux étaient des étudiants universitaires lorsqu’ils sont arrivés et n’ont pas pu obtenir leur diplôme à cause de la guerre. Aujourd’hui, ils fréquentent l’université d’Amman et travaillent comme intervenants à Makani.
31 octobre : Rencontre avec un responsable des programmes pour les jeunes travaillant avec l’équipe d’innovation sociale
Cette équipe travaille en vue d’encourager l’innovation sociale par la créativité chez les jeunes. Les jeunes participent à un programme d’innovation pour parler d’un problème auquel leur communauté est confrontée (par exemple, dans le camp de réfugiés d’Azraq, il est difficile pour les enfants d’aller à l’école quand il pleut parce qu’ils arrivent trempés dans leur salle de classe). Les jeunes discutent du problème, réfléchissent à des solutions novatrices, construisent un prototype à faible coût dans les laboratoires d’innovation soutenus par l’UNICEF à Zaatari et à Azraq, testent leur prototype dans la communauté et reviennent en classe avec des rétroactions. L’une de leurs idées est la confection d’un imperméable pour les enfants d’Azraq, qui est fait de matériaux recyclés et qui est assez grand pour couvrir leurs vêtements et leur sac à dos.
Les jeunes acquièrent des compétences entrepreneuriales, ce qui contribue à réduire le taux de chômage. Ils sont encouragés à penser aux aspects liés à la conception, aux coûts et à la durabilité. Ce programme est offert aux filles et aux garçons et est très compétitif. Ceux-ci doivent faire preuve d’engagement et d’innovation pour passer de la première à la deuxième étape, puis à la mise en œuvre effective. Ils doivent présenter une idée forte, réaliste, novatrice et durable qui profite à leur communauté.
3 et 4 novembre : Formation au district 8 du centre Makani
L’un des intervenants du district 8 du centre Makani m’a raconté une histoire. Les intervenants ont été invités à amener un petit groupe d’enfants de Zaatari à Amman pour voir une pièce de théâtre. Les enfants sont autorisés à sortir de Zaatari, mais plusieurs difficultés rendent cela impossible. Les intervenants ont néanmoins décidé d’y emmener environ 200 enfants provenant de différents centres de Makani. Ces enfants n’avaient JAMAIS quitté Zaatari. Ils n’avaient jamais été exposés au monde à l’extérieur de leur camp. Pour la première fois, ils ont vu des voitures, des bâtiments, des espaces verts et même des feux de circulation. Ils ont vécu tout un choc! Autour d’eux, tout était nouveau. Jusqu’à ce jour, les seuls véhicules qu’ils avaient vus étaient des voitures d’ONG (surtout des Nations Unies) et des ânes, des chevaux et des bicyclettes, en plus de quelques camionnettes que les marchands utilisent pour transporter les fournitures qu’ils vendent dans les marchés. Ils sont restés stupéfaits devant les bâtiments; jamais ils n’avaient vu de structures à plusieurs étages. Toutes les caravanes de Zaatari sont de plain-pied, comme les VR. Ils nous ont demandé comment les gens arrivaient à poser une pierre sur une autre pour construire un bâtiment.
Les enfants étaient très heureux de voir des feux de circulation et ont dit aux intervenants qu’ils en avaient déjà vus sur des photos, mais qu’ils ne savaient pas s’ils existaient réellement. À l’entrée du théâtre, ils ont également vu des escaliers pour la première fois. Les enfants ne savaient pas quoi faire, alors ils ont commencé à les grimper prudemment avec leurs mains et leurs pieds. J’étais sans voix. J’écoutais l’intervenant et mon cœur s’est serré. Jusque-là, je cherchais des histoires heureuses. Maintenant, je sais qu’en dépit des efforts et du dévouement de tant de gens, la communauté mondiale n’en fait pas assez. Ces enfants seront bientôt des adolescents et ils ne nous le pardonneront pas si nous ne faisons pas plus pour les rattacher au monde extérieur. J’aimerais tellement les aider à profiter plus régulièrement de sorties scolaires et à en apprendre davantage sur le monde.
6 novembre : Rencontre d’adolescentes alors que j’attendais mon transport vers le camp de base.
Les filles m’ont posé un million de questions. Lorsqu’elles ont appris que j’avais moi-même une fille qui étudie les sciences infirmières à l’université, elles ont commencé à me poser des questions détaillées sur les conditions préalables pour s’inscrire à pareil programme. Elles étaient prêtes à travailler dur. L’une d’entre elles m’a confié qu’elle était très triste d’avoir perdu un an au secondaire à cause de la guerre. Je lui ai dit que j’avais moi aussi perdu une année d’études complète au secondaire en raison de la guerre à Beyrouth, mais que j’ai réussi à rattraper mon retard. Je lui ai dit que la détermination et la persévérance l’aideraient à réaliser son rêve de devenir infirmière. J’ai hâte de voir où sera cette jeune fille dans quelques années.
Elle m’a dit qu’elle ne voulait pas quitter ce camp parce qu’elle se sent en sécurité ici et que de nombreuses ONG lui donnent ce dont elle a besoin pour réussir, ce que les communautés en dehors du camp ne sont peut-être pas en mesure d’offrir. Elle a mentionné l’UNICEF à plusieurs reprises en parlant de la façon dont ses besoins sont comblés. J’ai demandé aux filles si elles aimaient sortir du camp et elles m’ont répondu :
« Oui, nous aimerions pouvoir sortir tous les jours ».
7 novembre : séances de modélisation
La première séance à laquelle j’ai assisté s’adressait à 16 garçons de 4e année, âgés de 10 à 12 ans. Ce cours a été ardu, car il a été difficile d’obtenir la participation de certains des garçons. Deux garçons en particulier tentaient d’influencer négativement le groupe tandis qu’un autre n’a pas voulu suivre les instructions. Nous avons fait l’exercice de la « balle respiratoire » et un cercle communautaire sur « Si j’avais un pouvoir magique, je ferais... » et nous avons écrit des « qualités positives » dans les silhouettes des uns et des autres. Cette classe comprend un certain nombre de cas spéciaux, y compris le garçon qui a refusé de suivre les instructions (son père est mort à la guerre et il essaie souvent d’obtenir ce qu’il veut en étant agressif avec les autres). Les intervenants travaillent avec ardeur, dans un bel esprit d’équipe, pour le soutenir. Je suis heureuse de savoir que l’UNICEF a mis en place un processus efficace pour orienter les enfants ayant un comportement particulier ou d’autres besoins spéciaux vers des programmes spécialisés, tels que Mousikati (musicothérapie).
13 novembre : District 10 du centre Makani
Au centre Makani, j’ai rencontré Nizal, un jeune garçon ayant des besoins spéciaux. Il utilise un fauteuil roulant et a récemment subi une intervention chirurgicale. Nizal est un très bon élève et vient régulièrement au centre Makani pour du soutien pédagogique. Je me sentais mal à l’aise de le rencontrer brièvement, alors j’ai pris le temps de chercher sur Internet des photos d’enfants en fauteuil roulant qui ressemblaient à certains de mes élèves à Toronto et je les ai montrées à Nizal. Je lui ai dit que mes élèves avaient quelque chose en commun avec lui. Au début, il ne pouvait pas deviner de quoi il s’agissait, alors j’ai dû lui pointer les fauteuils roulants.
Je lui ai dit que le but de ma visite était de le rencontrer et de lui présenter des enfants comme lui, qui sont très intelligents et dont les besoins physiques ne les empêchent pas de faire ce qu’ils veulent faire. C’était formidable de voir comment les enfants ayant des besoins spéciaux sont soutenus à l’intérieur des centres Makani. Les salles de classe sont facilement accessibles, mais Nizal semble compter sur les autres pour l’aider à aller d’un endroit à un autre. Je me demande comment nous pouvons l’aider à gagner en indépendance et en liberté en ce qui a trait à sa mobilité.
J’ai promis aux enfants que j’ai rencontrés à Zaatari de travailler fort pour faire entrer le monde dans leur classe. Je sais qu’en tant qu’ambassadrice d’UNICEF Canada, je n’ai pas mon mot à dire sur la façon dont les fonds sont dépensés, mais je sais ceci : en tant que citoyenne du monde, être humain et défenseur des droits de l’enfant, je crois fermement que nous devons en faire plus! Les enfants grandissent vite, et nous devons faire en sorte que les enfants vivant à Zaatari et à Azraq soient préparés à la vie à l’extérieur d’un camp de réfugiés. Je plaiderai vigoureusement pour plus de ressources (principalement une bibliothèque avec des romans et des écrits documentaires en arabe et en anglais contenant des illustrations, l’accès à Internet et des livres électroniques) et pour le financement de sorties régulières, et ce, malgré les avis mitigés à ce sujet. Ces enfants doivent avoir davantage d’occasions de sortir et d’explorer le monde.
Pour chaque histoire que j’ai entendue, j’ai fait une promesse. Je défendrai la cause de chacun de ces enfants, car c’est leur droit d’apprendre.
Petite note sur le personnel de l’UNICEF qui travaille sur le terrain :
Ces dernières semaines, j’ai eu la chance de travailler avec l’incroyable équipe d’UNICEF Jordanie! J’ai vu de mes propres yeux le travail extraordinaire que les membres de cette équipe font sur le terrain. Ils se soucient profondément des enfants et se battent sans relâche pour assurer la réussite des programmes, bien qu’ils doivent faire face à de nombreux défis chaque jour. Leur collaboration, leur professionnalisme et l’amour qu’ils portent à leur travail sont exceptionnels!