Un havre de paix pour les Ukrainiens en Slovaquie
Par David Morley, le président et chef de la direction d’UNICEF Canada
En janvier 2023, le président et chef de la direction d’UNICEF Canada, David Morley, est allé en Slovaquie et a constaté le travail accompli par l’UNICEF pour aider les enfants et les familles qui ont fui la guerre en Ukraine. Voici quelques-unes de ses réflexions sur cette visite.
Bratislava, Slovaquie : « Nous nous appelons Mareena pour trois raisons », a expliqué Marta alors que nous nous tenions dans leur petit bureau actif en compagnie de travailleuses et travailleurs sociaux slovaques et ukrainiens occupés à résoudre des problèmes avec des mères ukrainiennes qui se sont réfugiées ici après l’escalade de la guerre en février dernier.
« Marína est d’abord et avant tout un célèbre poème d’amour slovaque. Ensuite, lorsque nous avons entrepris notre travail d’aide pendant la crise des réfugiés syriens, nous avons changé le ‘i’ en ‘ee’ parce que c’est plus arabe. Et la bonne signification du mot est comme… », hésita-t-elle en cherchant l’équivalent. « Havre de paix », ajouta sa collègue, Clara.
« Oui, havre de paix. » Et, selon moi, c’est exactement ce qu’ils apportent ici.
Près de 100 000 Ukrainiennes et Ukrainiens ont cherché refuge ici, en Slovaquie, et 1 000 personnes l’ont trouvé ici, au centre d’hébergement de Gabçikovo. Ce grand immeuble d’habitation a été bâti pour héberger les ouvriers qui ont construit l’immense barrage de Gabçikovo. Il est resté vacant pendant de nombreuses années, le barrage ayant été achevé en 1996, mais il abrite aujourd’hui 1 000 Ukrainiens, principalement des femmes et des enfants.
L’accès à l’éducation pour tous les enfants
L’UNICEF apporte son aide au programme Mareena ici. Nous contribuons à l’éducation en offrant des programmes préscolaires. Nous avons également fourni des manuels de langue. Hsiao-Chen Lin, la spécialiste du développement du jeune enfant de l’UNICEF, m’a expliqué qu’il n’y avait pas beaucoup de demande pour le slovaque comme deuxième langue. Bien que l’ukrainien et le slovaque soient proches, ces langues sont différentes et utilisent des alphabets différents. Il est donc important que les enfants apprennent le slovaque comme deuxième langue.
Le dilemme que j’ai vu dans tant de pays concernant les enfants et l’éducation est également présent en Slovaquie. Les écoles locales peuvent-elles accueillir ce nombre d’élèves soudainement accru? Si les enfants apprennent le slovaque, cela signifie-t-il qu’ils resteront ici et ne reviendront jamais en Ukraine? Cependant, s’ils ne s’instruisent qu’en ukrainien, ils se trouveront alors séparés de la société dans laquelle ils vivent actuellement. Les familles réfugiées ici viennent de l’est de l’Ukraine, qui est toujours une zone de guerre. Alors, comment peuvent-elles rentrer chez elles? Le ministère ukrainien de l’Éducation ne veut pas perdre autant d’enfants, c’est pourquoi il encourage l’apprentissage en ligne en ukrainien. L’escalade de la guerre et les coupures de courant plus fréquentes signifient que les portails en ligne sont souvent en panne et que les enfants n’ont plus rien.
Travailler sur le traumatisme
Le traumatisme de la guerre est toujours présent. « L’imagination de beaucoup de petits semblait avoir été étouffée par la guerre », a expliqué Carla. « Lorsque nous leur avons donné pour la première fois des crayons et du papier, ils ne savaient pas quoi dessiner. Maintenant, ils dessinent différentes choses, leur imagination reprend son envol. » Cela a été particulièrement difficile pour les adolescents. Depuis que les pères sont restés en Ukraine, les garçons se sentent responsables de leur famille. Même s’ils voulaient retourner en Ukraine, leurs mères refuseraient. Chaque décision familiale est difficile, lourde et chargée d’émotions.
Je suis heureux que les familles aient des personnes comme les femmes du programme Mareena pour aider à rendre ce havre un peu plus sûr en cette terrible période.
Assurer la sécurité dans les Points bleus
Les Points bleus sont des espaces sûrs établis le long des passages frontaliers, qui renseignent les enfants et les familles et leur procurent des services essentiels. Il y en a trois en Slovaquie pour aider les familles qui fuient la guerre en Ukraine, et les services offerts dans ces Points bleus sont impressionnants. Celui-ci, établi au centre de Bratislava, est situé juste à côté de la gare routière; les réfugiés peuvent donc facilement le trouver dès leur arrivée. Il est bien agencé et spacieux, établi dans un ancien centre commercial. Vous entrez et vous vous inscrivez au système social slovaque; il y a des conseils en matière de logement, un bureau d’aide juridique, des cours de conversation slovaque dispensés par des bénévoles, une clinique, un service d’aide à l’emploi et, à l’écart de l’agitation, une pièce tranquille où les enfants peuvent jouer, y compris avec un train en bois Brio que nos petits-enfants apprécient, comme l’ont fait nos enfants et moi avant eux.
« Ces centres d’accueil ont été créés par des bénévoles », m’a expliqué Zuzana, la psychologue slovaque qui dirige notre programme de santé mentale. « Lorsque les personnes ont commencé à fuir l’Ukraine, elles se rassemblaient dans les gares. Elles ne savaient pas combien de temps durerait la guerre ni où aller. Des bénévoles slovaques sont venus apporter leur aide. Des chauffeurs d’autobus bénévoles ont même formé un convoi jusqu’à la frontière pour transporter les réfugiés ici, à Bratislava. » Zuzana a participé à la formation de la police des frontières sur la façon de prévenir le trafic d’enfants.
Établir un système durable
Les gouvernements national et municipaux se sont joints à l’effort, ce qui a facilité la vie et le travail des Ukrainiens, bien que le titre professionnel de nombreux médecins, infirmières et infirmiers, enseignantes et enseignants ukrainiens ne soit pas reconnu en Slovaquie. « Quel gaspillage de compétences », a marmonné Zuzana. « Nous pourrions les utiliser dans notre système, mais certains d’entre eux peuvent nous aider dans le cadre de nos programmes. »
Mais bien sûr, la venue de 100 000 réfugiés ukrainiens dans un pays sans antécédent d’immigration à grande échelle est vite devenue trop lourde à gérer pour les bénévoles. Bien que cette situation soit entièrement nouvelle pour les élus, la participation du gouvernement municipal est devenue essentielle à la pérennité de ce travail. L’UNICEF apporte donc son aide au gouvernement et aux groupes communautaires locaux qui dirigent les opérations.
« Le gouvernement municipal est essentiel pour rendre tout cela durable », a expliqué Michaela, une ardente protectrice des droits de l’enfant qui dirige les efforts de l’UNICEF ici. « Le gouvernement peut coordonner ces efforts, procurer des fonds et contribuer à transformer un centre d’accueil ponctuel en un centre d’intégration continue. Parce que je pense que nous savons toutes et tous que cette crise des réfugiés ne sera pas la dernière que connaîtra le pays. »
Nous devons rendre cela durable. Une grande partie de cette sensibilisation étant nouvelle pour la Slovaquie, nous pouvons aider. « Je savais que l’UNICEF était puissant, mais je vois maintenant comment notre organisme unit les gens, du président aux enfants roms oubliés », dit Zuzana. Nous avons de plus mis en place des programmes d’intégration communautaire dans tout le pays où de jeunes Slovaques, Ukrainiens et Roms se réunissent pour faire du bénévolat dans des centres pour personnes âgées dans différentes régions du pays. « Ces enfants deviennent non seulement des aidants plutôt que d’être toujours aidés, mais tout le monde peut également constater comment ils contribuent à la société. C’est construire pour l’avenir. »
Un départ plein d’espoir
Je sors de cette courte visite impressionné. Impressionné par la façon dont la société slovaque réagit à la crise, par les personnes que j’ai rencontrées dans les centres communautaires et les centres d’accueil qui aident les nouveaux arrivants à s’adapter à la tragédie inimaginable qui a bouleversé leur vie. Impressionné par la détermination de l’équipe de l’UNICEF qui travaille si dur pour s’assurer que ces efforts dureront après notre départ. Et bien sûr, impressionné par l’esprit et la force des réfugiés alors qu’ils tentent de trouver une voie à suivre dans le maelström qui a détruit leur communauté en Ukraine et totalement bouleversé leur vie. Si nous pouvons, de quelque manière que ce soit, les aider à traverser cette période de perte inimaginable, alors je pense que nous le devons.