Remarques de la directrice générale de l’UNICEF, Catherine Russell, lors de la réunion du Conseil de sécurité des Nations Unies sur la situation humanitaire en Ukraine

« Excellences et collègues,

Je tiens à exprimer ma gratitude à l’ambassadrice Thomas-Greenfield et à l’ambassadeur Ferit Hoxha pour avoir convoqué la séance d’aujourd’hui. Je voudrais également remercier l’ambassadrice Lana Nusseibeh et les Émirats arabes unis d’avoir accueilli cette séance d’information pendant votre présidence du Conseil de sécurité.

C’est la première fois que je présente un exposé au Conseil de sécurité en tant que directrice générale de l’UNICEF. Je regrette qu’il ait été rendu nécessaire par l’aggravation rapide de la situation en Ukraine et les conséquences inadmissibles que le conflit a pour les enfants ukrainiens.

Les huit dernières années de conflit en Ukraine ont déjà infligé des préjudices profonds et durables aux enfants.

La menace immédiate et bien réelle qui pèse sur les 7,5 millions d’enfants en Ukraine s’est accrue avec l’escalade du conflit. Des maisons, des écoles, des orphelinats et des hôpitaux ont été attaqués. Des infrastructures civiles, comme les installations d’alimentation en eau et d’assainissement, ont été touchées, privant des millions de personnes d’un accès à de l’eau potable.

La vie de nombreuses personnes se déroule maintenant sous terre, alors que les familles cherchent la sécurité dans des abris, des stations de métro ou des sous-sols, et ce, souvent pendant des heures. Des femmes accouchent dans des maternités de fortune avec des fournitures médicales limitées.

La plupart des magasins sont fermés, ce qui rend difficile pour la population d’acheter des articles essentiels, y compris des produits de première nécessité pour les enfants, comme des couches et des médicaments. Et même si les magasins étaient ouverts, des millions de personnes ont trop peur de s’aventurer dehors pour obtenir de la nourriture ou de l’eau en raison des bombardements et des tirs continus.

L’intensification du conflit armé entraîne un lourd bilan humain, lequel augmente de façon exponentielle de jour en jour.

À ce jour, le HCDH a enregistré 1 207 victimes civiles en Ukraine. Depuis le 24 février, au moins 27 enfants ont été tués et 42 autres ont été blessés. D’innombrables enfants ont été traumatisés.

Alors que les combats s’étendent maintenant à des zones densément peuplées et à tout le pays, nous nous attendons à ce que le nombre d’enfants blessés ou tués augmente.

Nous nous attendons également à ce que la crise des personnes déplacées continue de croître rapidement.

Le HCR faisait état hier de 1,7 million de personnes supplémentaires qui fuient vers les pays d’accueil. La moitié des personnes en déplacement sont des enfants. L’UNICEF travaille en étroite collaboration avec le HCR pour leur apporter protection et assistance dans les pays d’accueil.

Je reviens tout juste de la frontière entre la Roumanie et l’Ukraine, où des milliers de femmes et d’enfants sont venus pour échapper aux combats. J’ai rencontré des mères et des enfants qui ont dû fuir leur domicile en quelques instants.

Ils m’ont dit ce que cela faisait de tout laisser derrière soi. De laisser mari, père et êtres chers âgés sans savoir quand ni même s’ils se reverraient.

Les enfants ont raconté avoir été soudainement retirés de l’école, avoir perdu leurs jouets préférés et ont parlé du bruit terrifiant des bombardements et des coups de feu. Tant d’enfants ont été profondément traumatisés.

Excellences,

L’UNICEF et ses partenaires travaillent 24 heures sur 24 pour répondre à l’escalade rapide des besoins humanitaires en Ukraine et dans les pays voisins, ce qui comprend acheminer par camion de l’eau potable pour boire et se laver, procurer des services médicaux d’urgence, et procurer des abris ainsi que des services de protection aux personnes déplacées.

À l’heure actuelle, quelque 135 personnes travaillent pour l’UNICEF en Ukraine, et nous en envoyons d’autres pour répondre aux besoins dans le pays. Des équipes mobiles de protection de l’enfance soutenues par l’UNICEF viennent en aide aux enfants partout où elles le peuvent et leur apportent un soutien psychosocial, un soutien en santé mentale et des services de protection.

En Ukraine, l’environnement opérationnel est extrêmement complexe. Les contraintes d’accès et l’évolution rapide des lignes de front rendent beaucoup plus difficile l’apport de fournitures et de services essentiels. La sécurité et le bien-être de notre personnel sur le terrain restent une priorité absolue.

Je tiens également à mettre en avant nos partenaires et les autres organismes humanitaires locaux, qui continue de travailler dans des conditions de sécurité extrêmement difficiles, en particulier celles et ceux qui interviennent dans les oblasts de Donetsk et de Lougansk, des régions durement touchées ces dernières semaines.

Je suis très heureuse de vous annoncer que, dimanche, l’UNICEF a livré 40 tonnes de fournitures médicales essentielles à la survie des femmes et des enfants dans 22 hôpitaux de cinq des régions les plus touchées.

Ces fournitures comprenaient des trousses de sage-femme et d’obstétrique, des trousses de réanimation et de chirurgie, des concentrateurs d’oxygène pour les hôpitaux se trouvant dans les refuges et des trousses de premiers soins pour le personnel médical et soignant de première ligne, le tout en quantités suffisantes pour répondre aux besoins de 20 000 enfants et mères. L’UNICEF évalue les besoins supplémentaires en coordination avec le ministère de la Santé et prépare d’autres envois.

L’UNICEF et ses partenaires ont besoin de ressources flexibles et d’un accès sûr et ininterrompu pour intensifier rapidement leurs efforts visant à répondre aux besoins urgents des enfants, où qu’ils se trouvent, qu’ils soient encore en Ukraine ou en déplacement.

En collaboration avec le HCR, nous avons déployé des équipes en Pologne, en Hongrie, en République tchèque, en République slovaque, et nous nous sommes appuyés sur notre présence continue en Roumanie, en Moldavie et en Biélorussie pour répondre aux besoins urgents des enfants.

Nous avons commencé à activer des espaces sécurisés, appelés « Points bleus », aux postes frontaliers des pays d’accueil où les enfants sont d’abord enregistrés. Ces Points bleus constituent un espace sécurisé à guichet unique pour les enfants et leur famille. Ils offrent un éventail de services, notamment des aires de jeu pour les enfants, un soutien psychosocial, des conseils juridiques de base, des trousses récréatives, et des articles et produits d’hygiène. J’en ai visité un la semaine dernière.

Le personnel des Points bleus est également en mesure de repérer les enfants non accompagnés et séparés. Les enfants sans attention parentale sont plus exposés au risque de violence, de mauvais traitements et d’exploitation. Lorsque ces enfants traversent les frontières, les risques sont multipliés. Le risque de trafic d’êtres humains augmente également en flèche lors de situations d’urgence.

L’UNICEF et le HCR ont exhorté tous les pays voisins et concernés à assurer l’identification et l’enregistrement immédiats des enfants non accompagnés et séparés qui fuient l’Ukraine après leur avoir permis l’accès à leur territoire.

Pour les enfants qui ont été déplacés et ont traversé les frontières sans leur famille, une famille d’accueil temporaire ou une autre prise en charge communautaire par l’entremise d’un système gouvernemental permet d’offrir une protection essentielle. Nous tenons toutefois à souligner qu’une adoption ne devrait jamais avoir lieu pendant ou immédiatement après une situation d’urgence. Tous les efforts doivent être déployés pour réunir les enfants avec leur famille.

L’UNICEF est également profondément préoccupé par la sécurité et le bien-être de quelque 100 000 enfants, dont la moitié vivent avec un handicap, qui habitent dans des établissements de soins et des internats en Ukraine. Nous avons reçu des rapports d’institutions cherchant à déplacer des enfants en lieu sûr dans des pays voisins ou au-delà.

Beaucoup de ces enfants ont des parents ou des tutrices ou tuteurs légaux vivants. Tous ont le droit d’être protégés.

Bien que nous reconnaissions que des évacuations humanitaires peuvent devenir nécessaires pour sauver des vies, des mesures spéciales doivent être prises pour joindre les familles et obtenir leur consentement pour déplacer ces enfants en lieu sûr et les réunir avec leur famille une fois la menace écartée.

Avec l’étendue du conflit, nous devrions toutes et tous être extrêmement préoccupés par les risques que les mines terrestres et les restes explosifs de guerre font courir aux enfants. Même avant l’escalade du conflit, l’est de l’Ukraine était l’une des étendues de terre les plus minées au monde. Cette réalité brutale s’étend rapidement à d’autres régions du pays.

Nous continuerons de faire tout notre possible pour les enfants en Ukraine. Nous nous engageons à rester et à les aider. Mais nous avons besoin de votre appui.

Excellences,

Ce que vivent les enfants en Ukraine est un outrage moral. Les images d’une mère, de ses deux enfants et d’une amie gisant morts dans la rue après avoir été frappés par un tir de mortier alors qu’ils tentaient de fuir en lieu sûr doivent choquer la conscience de la communauté internationale. Nous devons agir pour protéger les enfants de cette brutalité.

L’UNICEF demande aux membres de ce Conseil de rappeler à toutes les parties engagées dans le conflit leur obligation légale et morale de protéger les enfants et de les garder à l’abri des attaques.

Nous demeurons extrêmement préoccupés par les attaques contre les infrastructures civiles indispensables pour aider les enfants à traverser ce conflit, notamment les écoles, les hôpitaux, les installations d’alimentation en eau et d’assainissement, et les infrastructures énergétiques essentielles.

Nous appelons toutes les parties à s’abstenir de cibler ou de combattre à proximité de ces zones protégées et de mener des cyber-attaques susceptibles de perturber les services essentiels pour les enfants et les familles.

Nous appelons toutes les parties à éviter l’utilisation d’armes explosives dans les zones peuplées, y compris les munitions à fragmentation, qui présentent le pire risque de nuire aux enfants. Et nous exhortons toutes les parties à protéger la population civile contre tous autres préjudices liés à la contamination des sols par des mines terrestres et des restes explosifs de guerre.

L’UNICEF demande respectueusement à ce Conseil d’envoyer un message fort à toutes les parties sur leur obligation d’assurer la sécurité du personnel et du matériel humanitaires, et de permettre et faciliter notre travail.

Cela signifie également veiller à ce que les sanctions et autres mesures restrictives n’entravent pas l’intervention humanitaire.

Enfin, nous avons renouvelé notre appel à une suspension immédiate des hostilités en cours en Ukraine. Nous avons besoin d’un cessez-le-feu et de garanties adéquates pour permettre un accès humanitaire sûr et rapide à toutes les personnes dans le besoin en Ukraine.

Cela permettra d’apporter une aide humanitaire et d’assurer la protection de celles et ceux dans le besoin, et de laisser sortir les familles qui se trouvent dans les zones les plus touchées pour obtenir de l’eau et de la nourriture, se faire soigner ou quitter leur domicile en quête de sécurité.

En conclusion, je voudrais souligner que l’UNICEF est un organisme respectueux des principes humanitaires. Au cours des huit dernières années, l’UNICEF a été à pied d’œuvre de part et d’autre de la ligne de contact dans l’est de l’Ukraine et est déterminé à apporter une aide humanitaire et des services de protection à tous les enfants dans le besoin en Ukraine et dans les pays voisins.

Mais cette brutalité doit cesser.

Excellences, collègues,

Les enfants en Ukraine ont besoin d’aide et d’être protégés.

Ils ont besoin de fournitures et d’autres soutiens essentiels.

Ils ont besoin d’avoir accès aux services sociaux de base, comme la santé et l’éducation.

Ils ont besoin d’avoir de l’espoir pour l’avenir.

Mais tous les enfants en Ukraine ont surtout besoin de paix. C’est la seule solution pérenne.

Merci de m’avoir permis de vous parler aujourd’hui. »