Mes valises étaient bouclées.

Depuis plusieurs semaines, je me préparais à rejoindre l’équipe chargée de l’équité et de l’inclusion de l’UNICEF au Liban et certaines de leurs organisations partenaires spécialisées en matière de handicap. Je m’apprêtais à me rendre dans le nord du pays, puis dans la région de la Bekaa, afin de participer aux efforts visant à renforcer les systèmes d’intégration destinés aux enfants et aux jeunes atteints de handicaps modérés à lourds.

Ensemble, nous avions préparé des ateliers à l’intention des éducateurs du Liban en vue de diffuser des pratiques d’enseignement inclusives fondées sur des données probantes, ainsi que des séances de modélisation comportementale pour les enfants fréquentant les salles de classe, dont les centres Makani (en anglais).

Je prévoyais d’apporter des outils éducatifs, du matériel pédagogique et des livres d’images portant sur des sujets tels que le handicap et l’inclusion. J’étais motivée, enthousiaste et nerveuse à l’idée de retourner dans mon pays d’origine pour prêter main-forte.

Or, au cours de la matinée du 23 septembre, à peine quatre jours avant la date prévue de mon vol vers Beyrouth, j’ai rencontré l’équipe et j’ai décidé de reporter ma mission en raison de l’escalade des hostilités

In only a matter of days, heavy bombing had forcibly displaced 1.2 million people, including 400,000 children, and caused massive destruction and loss of life.

Une décision des plus difficiles

En l’espace de quelques jours seulement, les bombardements intensifs ont contraint 1,2 million de personnes, dont 400 000 enfants, à se déplacer, tout en semant la destruction et en entraînant des pertes humaines colossales.

Il va sans dire que cette décision n’a pas été facile à prendre. Je me suis sentie coupable d’accepter le privilège de demeurer dans un endroit sûr alors que d’autres agents humanitaires risquaient leur vie pour venir en aide aux personnes sinistrées.

Mais à ce moment-là, les bombardements intensifs avaient déjà atteint de nombreuses régions du Liban, y compris Beyrouth.

La situation n’était tout simplement pas sécuritaire.

Je souhaitais tout de même intervenir auprès des familles qui devaient tout laisser derrière elles, sans savoir à quel moment elles pourraient regagner leur maison, ni si celle-ci serait

toujours intacte. J’ai imaginé les conversations que ces parents devaient avoir avec leurs enfants effrayés. Après tout, comment expliquer à un jeune enfant que rester à la maison constituait maintenant un danger? Comment expliquer à un enfant que sa maison risquait d’être détruite ou que tous ses précieux trésors pourraient disparaître à tout jamais?

J’ai aussi pensé à mes parents. Bien qu’ils vivent maintenant à Toronto, je devais me rappeler qu’ils savent, de première main, ce que l’on ressent lorsqu’on est toujours en état d’alerte; le stress et la peur qu’ils ont dû éprouver lorsque mon frère et moi rentrions de l’école à pied; et la douleur qu’ils ont endurée lorsqu’ils ont perdu des membres de leur famille qui s’étaient simplement trouvés au mauvais endroit au mauvais moment.

Même si j’étais prête à assumer le risque, je savais que ce serait injuste de leur imposer à nouveau ces émotions

UNICEF response in Lebanon

La même volonté, une solution innovante

Malgré ma déception, je me suis souvenue d’une des nombreuses choses que j’ai apprises en grandissant sous le joug de la guerre civile.

Lorsqu’une guerre entrave la réalisation d’un projet, il faut se concentrer sur ce qu’il est encore possible de faire. On avance un pas à la fois. Il faut s’adapter et ne pas renoncer. On s’attache au présent et on prépare de meilleurs lendemains.

C’est exactement ce que j’ai fait.

Je suis restée en contact avec l’UNICEF au Liban, qui était déjà prêt à réagir aux pires éventualités grâce à un plan robuste de préparation et de réponse destiné à soutenir les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays. Ce plan prévoit notamment des « programmes ciblant les populations concernées tenant compte des besoins des personnes en situation de handicap, quelle que soit leur nationalité » et des « activités récréatives visant à favoriser le bien-être et la santé mentale des enfants, y compris les enfants vivant avec un handicap » – deux éléments qui ont immédiatement attiré mon attention.

Je savais que même s’il m’était impossible d’être physiquement sur place pour organiser des activités socioaffectives, je pouvais contribuer à créer des outils que les éducateurs et le personnel de soutien au Liban trouveraient utiles.

J’ai dû faire confiance à l’enfant de la guerre qui réside en moi et réfléchir à ce qui m’aurait aidé lorsque j’ai vécu le conflit, puis combiner cela aux connaissances que j’ai acquises en tant qu’enseignante spécialisée. J’avais déjà travaillé au sein d’équipes pluridisciplinaires chevronnées pour soutenir des enfants ayant connu des traumatismes, des maladies

graves, des problèmes de santé mentale, ainsi que des enfants ayant récemment subi une amputation.

En consultation avec l’équipe chargée de l’équité et de l’inclusion de l’UNICEF au Liban et en collaboration avec certains de mes anciens collègues du secteur, j’ai mis au point des outils visuels pour aider les jeunes enfants, y compris les enfants vivant avec un handicap, à adopter des stratégies de base leur permettant de gérer les émotions fortes, telles que la peur, la tristesse, l’anxiété et la colère.

Social Emotional Support

J’ai également créé une histoire sociale pour aider les enfants à affronter leurs émotions en temps de guerre. Élaborées à l’origine par Carol Gray en 1990 (en anglais), les histoires sociales constituent de courtes histoires illustrées employant un langage simple et clair, adapté aux enfants, pour expliquer une situation difficile et suggérer des moyens d’atténuer les « grandes émotions » suscitées par des événements pénibles et inattendus. Les histoires sociales sont surtout utilisées dans le cas d’enfants atteints de troubles du spectre autistique, mais elles conviennent à tous les jeunes enfants. En outre, j’ai mis au point des outils à utiliser dans le cadre d’activités récréatives promouvant le « dialogue intérieur positif » et la « réflexion positive ». La plupart de ces outils ont été conçus en arabe et en anglais.

Le 15 octobre, j’ai réuni en ligne 30 membres du personnel incroyablement dévoués et j’ai présenté un exposé sur le soutien socioaffectif en situation d’urgence. J’ai transmis les outils et les ressources que j’ai créés pour soutenir les enfants et les jeunes, avec ou sans handicap, en cas d’urgence.

Les participants provenaient d’organismes tels que l’UNICEF au Liban, Save The Children, Humanité & Inclusion, War Child, Al Hadi, la CBRA (l’Association pour la réadaptation en

milieu communautaire), LOST (l’Organisation libanaise d’études et de formation) et la FISTA, et ils ont tous fait preuve d’un engagement indéfectible en faveur des enfants du Liban. À titre d’exemple, lorsqu’une puissante explosion a retenti à proximité de l’un des participants, celui-ci est demeuré en ligne après s’être assuré qu’il était en sécurité.

Social Emotional Support Tool

Les prochaines étapes...

Au cours des prochaines semaines, les partenaires mettront en œuvre ces stratégies comme ils le jugent approprié. Ils les communiqueront également aux personnes soignantes et aux autres éducateurs par l’intermédiaire de la plateforme d’apprentissage en ligne de l’UNICEF.

Je demeure à la disposition des équipes pour les accompagner dans leur processus de mise en œuvre et créer d’autres outils susceptibles de favoriser le bien-être social et émotionnel des enfants en situation d’urgence. Certes, il ne s’agit que d’une petite goutte d’eau dans l’océan, mais je crois que chaque goutte compte.

Malgré le cessez-le-feu, les enfants continuent d’éprouver un profond sentiment d’anxiété en raison des déplacements, des décombres et de l’absence de normalité. La guérison de ce traumatisme constitue un processus de longue haleine.

Nous savons que partout dans le monde, y compris chez nous, les enfants et les jeunes vivant avec un handicap se heurtent à des obstacles physiques, sociaux et comportementaux. Dans les pays touchés par un conflit, ces enfants et leurs familles sont confrontés à d’énormes difficultés et doivent gravir chaque jour une montagne beaucoup plus élevée.

Aucun enfant ne choisit d’être atteint d’un handicap.

Aucun enfant ne choisit de vivre dans la guerre.

En tant que communauté mondiale, nous devons accorder la priorité à chaque enfant.

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Bayan Yammout est une ambassadrice d’UNICEF Canada et une enseignante spécialisée basée à Toronto en Ontario. Née à Beyrouth, au Liban, pendant la guerre civile, elle a vécu 17 ans dans une zone de guerre. Aujourd’hui, Mme Yammout promeut le travail de l’UNICEF dans le domaine de l’éducation et de la protection de l’enfance en période de conflit. Elle a reçu la médaille du jubilé de diamant de la reine Élisabeth II en 2012 pour son travail de défense des droits aux côtés d’UNICEF Canada.


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