SOUS LA LAME
Il vous faut une minute pour assimiler ce que vous lisez.
Une affiche géante, hissée sur un panneau d’affichage de fortune au bord de la route. Elle est recouverte de cette légère couche de poussière rouge qui recouvre tout ici pendant les derniers jours de la saison sèche.
Tout d’abord, vous voyez l’image – une lame de rasoir. Puis, vous lisez ces mots :
« Ne laissez pas la lame de rasoir devenir le symbole de notre nation! »
Il fait 44 degrés Celsius en Gambie lorsque je vois ceci. Mais c’est la chaleur de la politique dans ce tout petit pays d’Afrique de l’Ouest de 2,7 millions d’habitants qui embrase le continent.
Le point d’inflammation est la légalité de la mutilation génitale des femmes (MGF), une pratique traditionnelle atrocement douloureuse, néfaste et dangereuse qui consiste en l’ablation partielle ou totale des organes génitaux externes de la femme, pratiquée sur des filles âgées de quelques jours à 15 ans.
Une lame de rasoir ne devrait pas être un rite de passage pour une enfant. Et pourtant, chaque année dans le monde, 2 millions de filles de moins de 5 ans sont immobilisées pendant qu’une partie de leur corps est coupée, tailladée et recousue dans une forme contre nature. Aujourd’hui, dans le monde entier, au moins 230 millions de filles et de femmes ont survécu à la MGF et vivent avec ses effets physiques et psychologiques permanents.
Pourquoi? Cette pratique est internationalement reconnue comme une violation des droits de la personne. Aucun texte religieux ne la prescrit. La mutilation génitale des femmes est une tradition culturelle ancrée dans l’inégalité entre les genres, qui vise à supprimer la sexualité d’une fille ou à garantir sa chasteté. Les filles ont le droit de disposer de leur corps dans son intégralité et d’être à l’abri de la violence fondée sur le genre. Pourtant, ce droit n’est pas garanti. La MGF existe dans de nombreuses régions du monde, mais c’est dans 31 pays qu’elle est la plus répandue – la plupart situés en Afrique, et d’autres au Moyen-Orient et en Asie.
En 2015, la mutilation génitale féminine a été interdite en Gambie. Toutefois, la MGF est revenue récemment sous les projecteurs et à l’ordre du jour législatif après que trois femmes âgées sont devenues les premières Gambiennes à être condamnées à une amende pour avoir pratiqué la MGF sur huit bébés.
La communauté internationale et les organisations de la société civile interviennent pour encourager le gouvernement à maintenir la loi en vigueur. Parce que, selon le résultat des votes, la Gambie serait le premier pays au monde à renverser l’interdiction de la mutilation génitale des femmes, laissant ainsi la porte ouverte à d’autres pays qui voudraient en faire autant. Les gains durement acquis au cours des 30 dernières années pourraient être anéantis et d’autres progrès pourraient être effacés dans la foulée : des renversements d’interdictions semblables sont attendus dans d’autres pays, et des renversements des lois sur le mariage d’enfants et d’autres formes de violence fondée sur le genre se profilent à l’horizon.
Pendant que j’étais en Gambie, j’ai parlé avec des mères dont la voix tremblait sous la douleur et le chagrin de ne pas pouvoir protéger leurs filles de l’excision. Ces femmes ont raconté comment cette violation de leur corps lorsqu’elles étaient enfants a façonné leur réalité de femmes adultes : des infections qui ne disparaissent jamais vraiment, des douleurs menstruelles insoutenables, des difficultés à exécuter de simples fonctions corporelles, des accouchements mettant leur vie en danger, des enfants mort-nés et des décès de nourrissons, sans oublier les hémorragies post-partum.
L’UNICEF a toujours été un fervent opposant à la pratique de la mutilation génitale des femmes dans le monde entier, notamment en Gambie où Nafisa Shafique et son équipe incroyable travaillent jour et nuit pour se battre contre l’abrogation potentielle de l’interdiction de la MGF auprès des législateurs et du gouvernement. En soutenant les courageux activistes et les survivantes locales qui se font les porte-parole des femmes hors de leur foyer et dans la rue. En sensibilisant la population mondiale aux conséquences de la mutilation génitale des femmes sur leur corps, sur les communautés et sur les vies humaines. En déployant des interventions axées sur les changements sociaux et comportementaux dans les communautés et les écoles.
Aujourd’hui, une fille court environ trois fois moins de risques d’être soumise à une MGF qu’elle l’aurait été il y a 30 ans. Mais les progrès ne sont ni simples ni linéaires.
Le vote à venir est extrêmement important. J’espère que son résultat garantira la protection des droits des enfants – et des femmes.
Avec une marge pas aussi mince qu’une lame de rasoir.